(Porcara Musica, exclusivement sous licence par Green Hill Productions – 2025)
Photo : Scarlett McDonald
La parution du nouvel album d’un artiste que vous aimez est toujours un événement à noter sur votre calendrier. Ce nouveau projet de Steve Porcaro, sobrement intitulé The Very Day, ne déroge pas à cette règle, neuf ans après Someday/Somehow, son premier album solo. Depuis cette parution, Steve avait pu se mettre définitivement en retrait du groupe Toto, dont il était l’un des membres fondateurs. Après un premier retrait datant de 1987, il était revenu dans le groupe en 2010 pour quasiment une décennie, offrant sa présence sur quelques tournées et albums pour le plus grand plaisir des fans du groupe californien. Que ce soit pour les nostalgiques qui ont pu le revoir sur scène ou ceux comme moi qui ont eu la chance de le découvrir et de le voir en chair en os pour la première fois, c’était alors un sentiment de revenir aux fondamentaux et aux origines du groupe.
Je crois ne l’avoir jamais raconté à personne, mais lors de mon premier concert de Toto en 2003, je ne connaissais pas du tout l’historique du groupe (et Wikipédia ne pouvait alors pas me renseigner), me rattachant seulement aux noms de ses membres que je lisais dans les livrets d’albums de Michael Jackson depuis tant d’années. J’espérais donc voir Steve Porcaro sur scène ce jour-là pour apercevoir le compositeur de « Human Nature » et matérialiser cette admiration et cette fascination qui existaient déjà dans mon esprit. Ce ne fut pas le cas mais cette première expérience avec Toto me fit devenir un fan à part entière, au point de m’intéresser et de me documenter sur la discographie du groupe en détail, et ainsi découvrir tout le travail en amont du claviériste et ses programmations de synthétiseurs qui font son identité. Je m’amuse même, alors qu’il n’est plus officiellement membre du groupe, à scruter les livrets d’albums pour y trouver ses éventuels coups de mains, et remarquer certaines de ses programmations lors de mes écoutes. Je ne veux pas m’éloigner du sujet principal qui est son nouveau projet solo mais je prends plaisir à expliquer l’importance que Steve Porcaro a eu dans mon intérêt pour la musique.
Cette décennie avec Toto a donc été la confirmation d’une admiration et d’un respect qui se sont développés encore davantage au fil des années, avec l’album précédent qui fut une sorte de révélation pour moi, dans le sens où Steve Porcaro pouvait m’attirer totalement dans son propre univers sans la présence de ses camarades. Voilà donc pourquoi je ne pouvais passer à côté de cette nouvelle parution, d’autant que l’artiste vient de céder, il y a quelques mois, les droits de ses chansons. Une façon pour lui de se concentrer désormais sur sa propre musique, faite chez lui, pour le plaisir. Les tournées et les musiques pour le cinéma et la télévision sont désormais révolues et ce nouvel album The Very Day exprime ce tournant et cette nouvelle ère qui se profile pour le musicien. Cette dernière a donc débuté ce vendredi 4 juillet avec le morceau « Miss Jane Sinclair » dévoilé en avant-première. J’avais donc hâte d’écouter la totalité du projet et de le savourer comme il se doit.
C’est désormais chose faite et ce nouvel opus démarre ainsi avec le titre « Marilyn », et l’évocation d’un prénom féminin a de quoi à nous faire penser à du Toto (dont le sublime « Lea » qui est une composition Porcaro !) mais les premières notes et la voix du principal intéressé sont là pour nous rappeler que c’est bien du Steve Porcaro, avec tous les ingrédients qui font son charme. Les envolées de synthétiseurs soutenus par les cuivres sont une recette qui fonctionne et c’est un sentiment qui ne s’estompe pas tout au long de ces onze nouvelles pistes. Il faut dire que le casting réuni ici est de qualité et on pourrait citer aisément le batteur Shannon Forrest, le guitariste Michael Landau, le percussionniste Lenny Castro comme éléments récurrents dans cette liste non exhaustive d’une sorte d’All Star Game de musiciens de la Côte Ouest. Au sujet des cuivres, l’artiste a su justement alterner entre d’anciens camarades comme Larry Williams et Chuck Findley, tout en invitant la formation allemande de Tab Two, démontrant l’ouverture et la richesse de son univers musical pour le titre « Tonight » qui se veut festif et enjoué. Il exprime ainsi cette ambiance davantage up-tempo que l’opus précédent. Ce mariage d’instruments à cuivre avec son clavier s’exprime également d’une autre manière lors d’un intermède instrumental intitulé « EI » dans lequel Steve invite le regretté trompettiste Carl Saunders, et qui aurait eu toute sa place sur la bande originale d’un film, mais je vous l’ai dit, ce temps est révolu. Il est vrai que ces nouvelles chansons ne sont pas là uniquement pour mettre en valeur le synthétiseur, aux multiples programmations de Steve Porcaro, mais que celui-ci se mêle totalement aux autres prodiges, et à leurs instruments, invités sur l’album. On peut alors citer la guitare de Marc Bonilla sur le titre « Water From The Sky » qui démontre la complicité entre le principal intéressé et ses divers invités tout au long du disque. Déjà présent sur l’album précédent, le tandem Porcaro/Bonilla avait collaboré sur la série Justified, et cette complicité est encore plus flagrante ici ! J’irai même jusqu’à évoquer une sorte de battle forte en intensité, entre les deux instruments, au point de nous faire ressentir un orage violent et menaçant, exprimé en musique par nos deux protagonistes. Cette conclusion matérialisée par une pluie nous fait alors reprendre notre souffle tant ce climat de tension était palpable. On ressent cette envie de l’artiste de ne convier que des gens qu’il estime autant humainement que professionnellement, et cette fraternité et cette complicité respirent tout au long des notes.
Cette affirmation ne faiblit pas lorsque le chant est assuré par d’autres protagonistes, on conserve cette atmosphère et cet univers Porcaro. Saluons ici la performance de Michael McDonald pour le titre « Change », ainsi que celles de Gardner Cole pour « Listen To My Heart » et de Jude Cole pour « 2x Lover ». Ces deux ballades sont les deux plaisirs sucrés de l’album que j’affectionne. Les sortes d’écoutes supplémentaires tel un dessert qu’on reprend par pure gourmandise. Je n’oublie pas pour autant l’excellent « Saint’s & Angels » chanté par Jason Scheff, membre emblématique du groupe Chicago qui mérite notre attention. En effet, (roulement de tambour !), il s’agit là d’une collaboration avec David Paich, également crédité à la composition !
Au final, et tout au long du disque, peu importe le style et les différentes voix présentes, ainsi que les nombreux virtuoses venus soutenir la vision de Steve : on ressort de cette écoute avec la conviction qu’il s’agit là d’un album totalement maitrisé par Steve Porcaro. L’envie et la motivation sont là, à l’image de ces programmations et envolées lyriques au synthé qui représentent tellement son univers et le rende ainsi unique.
Avec tout ça, quiconque ne serait pas tenté d’écouter cet album passerait à côté de quelque chose ! D’autant que j’ai recueilli le témoignage et les impressions du principal intéressé qui a gentiment accepté de répondre à quelques questions qui me sont venues à l’esprit en écoutant ces nouvelles chansons.
Photo : Scarlett McDonald
Bonjour Steve et merci pour cet entretien. Comment vous sentez-vous pour la parution de ce nouvel album The Very Day ?
Je suis très heureux que cet album soit enfin disponible et que je puisse le partager avec tout le monde. Cela a pris beaucoup de temps. Beaucoup trop de temps. Et il y a encore beaucoup à venir.
L’album précédent Someday / Somehow était sorti en 2016. Est-ce que ce projet de second album solo avait germé dans votre esprit à ce moment-là ou est-ce lié plus tardivement à votre retrait de Toto en 2019 ?
Je travaille constamment sur de la musique, par petits bouts, mais FINIR des chansons est une autre histoire et un véritable défi. Je déteste vraiment le temps qui s’est écoulé entre ces deux albums, mais la bonne nouvelle, c’est que maintenant que je me consacre entièrement à cela, vous entendrez beaucoup plus souvent de nouvelles chansons de ma part.
Cette façon de prendre son temps, de laisser mûrir une démo, est-il un élément que vous revendiquez dans votre méthode de travail ?
Je préférerais toujours être plus rapide, mais il faut du temps, et maintenant que c’est tout ce que je fais, puisque j’ai arrêté les tournées et le cinéma, je n’ai plus qu’à m’occuper de moi-même et des distractions de la vie. Je suis constamment séduit par les nouveaux logiciels, les nouveaux synthétiseurs et les nouvelles possibilités, mais c’est toujours dans le but de ne pas ressembler à quelqu’un d’autre, de produire ma musique et, espérons-le, de la diffuser plus rapidement.
D’une manière générale, à l’écoute de l’album, on ressent comme un esprit de camaraderie entre musiciens qui se connaissent depuis longtemps, toujours très professionnels, qui aiment se retrouver. Vous confirmez ce sentiment ?
Absolument. Je connais la plupart de ces gars depuis presque toute ma vie adulte, voire plus, et d’autres, comme Shannon Forrest, j’ai l’impression de les connaître depuis toujours.
Durant les sessions en studio, quel type de producteur êtes-vous pour obtenir avec les musiciens ce que vous avez en tête pour une chanson ? Avez-vous toujours fonctionné ainsi ou cela a-t-il évolué avec l’expérience ?
Ce qui est formidable avec la technologie actuelle, c’est que nous pouvons tout essayer. Autrefois, nous étions limités par le nombre de pistes disponibles sur les magnétophones multipistes. Parfois, si quelqu’un avec qui vous travailliez avait une idée différente de la façon dont les choses devaient se passer, vous deviez prendre une décision, car il ne restait qu’une ou deux pistes et il fallait choisir l’une ou l’autre option. Aujourd’hui, nous pouvons essayer les deux. Si je travaille avec quelqu’un et qu’il a une idée différente de la mienne, nous pouvons toujours l’essayer. Je n’aime rien de mieux que d’être surpris lorsque quelque chose dont j’étais sûr qu’elle ne fonctionnerait pas fonctionne et que j’ai tort. Nous voulons toujours que le résultat soit le meilleur possible. Certains de mes amis et contemporains pourraient considérer cette liberté comme une malédiction. Parfois, les artistes peuvent avoir trop de liberté et être capables d’essayer trop d’idées différentes. On pourrait considérer le fait d’être limité dans le nombre de pistes utilisables comme une restriction salutaire. J’adore être dans le studio et comme je suis un perfectionniste-né, j’aime pouvoir tirer parti de cette technologie et avoir le choix. Mais en fin de compte, quand il s’agit de mon album, c’est moi qui ai le dernier mot.
Dès le premier morceau « Marilyn » et sur la majorité des titres de l’album, les cuivres sont bien plus présents que sur l’album précédent. Vous avez beau être un spécialiste de la programmation qui pourrait aisément reproduire ces sonorités, était-ce important pour vous de convier ce type de musiciens dans votre projet ?
Ces derniers temps, j’ai vraiment pris conscience de la brièveté de la vie, et ma règle pour cet album et pour l’avenir était que si quelqu’un pouvait faire quelque chose plus rapidement que moi, mieux que moi, je le ferais de cette façon ou je ferais appel à cette personne. Si je voulais obtenir un son semblable à celui de vrais cuivres, plutôt que de passer des heures à essayer d’obtenir cette nuance et ce réalisme, j’engageais simplement des cuivristes. Je veux juste faire ce que je sais faire et que personne d’autre ne sait faire, c’est-à-dire me concentrer sur l’écriture et utiliser des synthétiseurs pour créer des sons qu’eux seuls peuvent produire.
Au sujet des cuivres, pour développer la question précédente, votre instrumentale « The EI » est un duo entre vous et le regretté trompettiste Carl Saunders. C’est le seul passage de l’album qui m’a fait écho à la discographie de Toto avec l’instrumentale « Don’t Stop Me Now ». Je sais que vous n’aviez pas écrit ce morceau mais est-ce que cette rencontre musicale avec Miles Davis vous a inspiré cette collaboration avec un autre trompettiste, forcément apprécié, comme Carl Saunders ?
Ce style de trompette jazz a toujours fait partie de mon ADN. C’est la musique que mon père écoutait quand nous étions enfants. Avant les Beatles, il y avait beaucoup de quintettes de Miles Davis sur le tourne-disque.
Je me dois de citer « Change » avec Michael McDonald, un morceau qui était à l’origine pensé pour un autre célèbre chanteur. Quelles sont les origines de ce titre jusqu’à cette version définitive qui parait aujourd’hui avec du beau monde dans les crédits ?
Il y a plusieurs années, j’ai rencontré mon partenaire de composition Michael Sherwood. Je lui ai fait écouter trois morceaux que j’avais commencés. Il a trouvé qu’ils seraient tous parfaits pour Michael Jackson et m’a donné quelques conseils et idées. « Change » est le premier que j’ai terminé. J’espère en terminer deux autres.
Le titre « Does It Really Matter » m’a interpellé car c’est celui pour lequel vous êtes le seul crédité à la composition. Est-il ainsi plus autobiographique et personnel pour l’avoir créé seul face à vous-même ?
Pas nécessairement. Avec le recul, j’aurais aimé faire appel à quelqu’un pour améliorer les paroles et leur donner un sens plus narratif. J’ai opté pour mon habituel mélange de mots.
Un autre moment marquant de l’album reste le titre « Water From The Sky » qu’on peut considérer comme un duo entre votre clavier et la guitare de Marc Bonilla. Pouvez-vous raconter cette complicité musicale avec lui pour nous offrir ce résultat ?
Marc a toujours été l’un des musiciens les plus sous-estimés que j’ai connus. Il a toujours suivi son propre chemin et ne fait jamais de compromis. Cette chanson commence par un extrait de la série télévisée Justified sur laquelle nous avons travaillé ensemble. Nous sommes partis de là et il a ajouté des parties inestimables, en particulier les solos.
La ballade de l’album « Listen To My heart » offre une belle alchimie entre votre voix et celle de Gardner Cole. On pourrait citer également les autres chanteurs de l’album qui ont fait un travail remarquable. Tout se mêle parfaitement à vos propres interprétations vocales (et vos notes de synthés !) Tous ces choix pour le chant étaient-ils une évidence au départ ou vous a-t-il fallu quelques différends pour vous guider dans votre réflexion ?
Oui, c’était étrange. Tout ce que j’avais, c’était une section B sur laquelle je travaillais depuis plus de 35 ans. Les paroles et la musique. Je l’ai toujours aimée, mais je ne savais pas quoi en faire. J’avais toujours voulu travailler avec Gardner et je l’ai finalement contacté un jour pour lui dire que j’aimerais lui envoyer cette section B et lui demander s’il pouvait écrire un couplet pour l’accompagner. J’espérais qu’il écrirait également un refrain ou que ce qu’il ferait m’inspirerait pour écrire un refrain. Il a écrit un excellent couplet et a même joué de la batterie, que j’ai conservée. Mais il pensait que la section B était suffisamment forte pour servir de refrain et que nous avions terminé. J’ai été inspiré un week-end pluvieux et j’ai écrit cette troisième partie moi-même en utilisant les mots qu’il avait écrits dans les couplets et j’ai fait toutes ces harmonies en expérimentant simplement autant de suspensions que possible. C’est un peu étrange.
Je vais me mouiller en disant que mon titre préféré est « 2x Lover » et la tessiture vocale de Jude Cole m’a rappelé celle du regretté Michael Sherwood. Pouvez-vous me raconter le processus créatif de cette chanson ?
Elle ressemble beaucoup à la chanson précédente dont nous venons de parler, « Listen to My Heart ». J’avais gardé ce refrain pour « 2x Lover » pendant plus de 35 ans également. J’ai énormément de bribes et de morceaux. Tout ce que j’avais, c’était ce refrain. Et dans l’esprit où je me trouvais, celui de terminer tous ces morceaux qui traînaient, j’ai pris le téléphone et j’ai appelé Jude, que j’ai toujours trouvé incroyablement talentueux et dont j’ai toujours aimé la voix, pour lui demander de composer un couplet et des paroles et de m’aider à terminer cette chanson. Il a gracieusement accepté de m’aider.
Les fans de Toto vont forcément se réjouir de la présence d’un autre claviériste sur cet album. J’évoque bien évidemment David Paich présent sur « Change » et « Saints & Angels », et crédité à la composition sur ce dernier en votre compagnie et celle de Stan Lynch. Pouvez-vous nous raconter comment se sont déroulées ces retrouvailles ?
Je venais de terminer de passer en revue des centaines de cassettes contenant des bribes, des motifs, des idées de chansons, et je les avais toutes numérisées pour faciliter leur consultation et leur organisation. Une fois cette tâche terminée, j’ai trouvé cette cassette, une vieille cassette sur laquelle était simplement inscrit « Dave et Steve ». Lorsque je l’ai écoutée, j’ai immédiatement reconnu David au piano et moi-même chantant une mélodie. C’était très simple. Il y avait quelque chose qui me plaisait dans cet enregistrement, j’ai donc appelé David et lui ai proposé de le terminer. J’avais l’idée d’écrire une lettre d’amour à la Californie et il était particulièrement important pour moi de rendre hommage à l’héritage espagnol/mexicain de la Californie. De plus, je voulais écrire une chanson simple, qu’un groupe de bar pourrait jouer. Nous avons fait appel à notre ami Stan Lynch pour nous aider à terminer les paroles et à les mettre en forme. Il a fait un excellent travail. Tout au long du processus de création de cet album, David m’a été d’une aide et d’un soutien incroyables. Il a adoré « Change » et m’a demandé s’il pouvait ajouter une partie à l’orgue Hammond. Je lui ai demandé si c’était une question piège. J’adore ce qu’il a fait.
Considérez-vous que votre maturité et votre expérience avec votre instrument continuent de se développer avec une envie intacte de faire de la musique, alors que dans l’absolu, votre renommée et le respect du public et de vos pairs pourraient vous faire penser que vous n’avez plus rien à prouver ?
Je n’ai pas l’impression d’avoir quelque chose à prouver. Peut-être à moi-même. Je veux juste que les gens entendent ce qu’il y a dans ma tête et j’ai l’impression de ne faire que commencer !
Merci Steve pour cet entretien et ce nouvel album qui va en ravir plus d’un ! Bonne écoute à tous !